Liberté
Paul Eluard Sur mes cahiers d’écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J’écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J’écris ton nom Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J’écris ton nom Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur l’écho de mon enfance J’écris ton nom Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées J’écris ton nom Sur tous mes chiffons d’azur Sur l’étang soleil moisi Sur le lac lune vivante J’écris ton nom Sur les champs sur l’horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J’écris ton nom Sur chaque bouffée d’aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente J’écris ton nom Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l’orage Sur la pluie épaisse et fade J’écris ton nom Sur les formes scintillantes Sur les cloches des couleurs Sur la vérité physique J’écris ton nom Sur les sentiers éveillés Sur les routes déployées Sur les places qui débordent J’écris ton nom Sur la lampe qui s’allume Sur la lampe qui s’éteint Sur mes maisons réunies J’écris ton nom Sur le fruit coupé en deux Du miroir et de ma chambre Sur mon lit coquille vide J’écris ton nom Sur mon chien gourmand et tendre Sur ses oreilles dressées Sur sa patte maladroite J’écris ton nom Sur le tremplin de ma porte Sur les objets familiers Sur le flot du feu béni J’écris ton nom Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend J’écris ton nom Sur la vitre des surprises Sur les lèvres attentives Bien au-dessus du silence J’écris ton nom Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui J’écris ton nom Sur l’absence sans désir Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J’écris ton nom Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l’espoir sans souvenir J’écris ton nom Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. Paul Eluard Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin) Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit) |
Paul Eluard – biographie
Eugène Émile Paul Grindel, dit Paul Éluard, nait à Saint-Denis le 14 décembre 1895. Sa mère est couturière. Son père est directeur d’une agence immobilière En 1908, sa famille s’installe à Paris. Boursier à l’école supérieure Colbert, Paul Éluard obtient le brevet en 1912. Sa scolarité est perturbée par une santé fragile. Il souffre d’une maladie des poumons qu’il l’amène à effectuer plusieurs séjours dans les sanatoriums suisses. C’est à l’âge de 17 ans, pendant l’un de ces séjours, qu’il tombe amoureux de la jeune russe Helena Diakonova, surnommée Gala, sa première femme et sa muse inspiratrice. En 1914 il est mobilisé et part comme infirmier militaire sur le front de la Somme. A la suite d’une bronchite, il est renvoyé à Paris. La guerre et les tranchées le marqueront à jamais. En 1917, il se marie avec Gala et devient père l’année suivante. A Paris il adhère d’abord au mouvement Dada, par la suite, il prend part au mouvement surréaliste. En 1926 Paul Eluard avec Louis Aragon et André Breton entre au parti communiste français et prend position contre le fascisme. Pendant cette époque il publie deux recueils essentiels : Capitale de la douleur (1926) et L’amour la poésie (1929). En 1928 Gala le quitte pour le peintre Salvador Dalì. Néanmoins, les liens d’affection resteront intactes et il en restera proche toute sa vie. En 1929, Éluard rencontre Maria Bentz, surnommée Nusch, une artiste de scène. Il tombe à nouveau amoureux. Ils se marient en 1934. Nusch est à la fois femme et complice d’Éluard et modèle et égérie des peintres surréalistes. Exclus du parti communiste en 1933 comme les autres surréalistes, il continue sa lutte en faveur des révolutions. Il voyage dans toute l’Europe soumise à des régimes fascisants. En Espagne, il s’insurge au côté de Pablo Picasso contre le franquisme. Mobilisé dès septembre 1939 dans l’intendance, en juin 1940 il s’installe avec Nusch à Paris. Pendant la période de l’occupation allemande, Paul Éluard fait partie de la résistance. Il participe à la littérature clandestine à la tête du Comité national des écrivains zone Nord. Il continue à publier jusqu’à la libération en 1945. Son poème « Liberté » est parachuté à des milliers d’exemplaires au-dessus de la France occupée par les avions anglais sous forme de tractes. La guerre finie, Paul Eluard et Nusch multiplient les tournées et les conférences en Europe sur le signe de la paix. Le 28 novembre 1946, Nusch meurt d’une hémorragie cérébrale. Paule Éluard est terrassé par la douleur. En 1948, avec Picasso, il est invité à participer au Congrès des intellectuels pour la paix à Wroclaw en Pologne. L’année suivante au Congrès de la paix de Mexico il rencontre sa troisième femme Dominique, qu’il épouse en 1951. Il meurt d’une crise cardiaque le 18 novembre 1952. Le 22 novembre, il est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Paul Éluard est un poète humaniste. Il lutte avec ses vers contre les injustices, la haine, l’horreur de la guerre. Il prône l’amour, la liberté et la fraternité. |